Amiens où les avettes flottent…
La visite des jardins flottants
La visite des hortillonnages fut un émerveillement renouvelé de l’étendue des capacités des hommes de la terre à modeler cette dernière. En tant qu’agronome, j’ai travaillé dans le domaine des jardins suspendus (autrement dit: les toitures vertes) ainsi que dans celui des murs végétaux… mais pas encore dans celui des jardins flottants! Et ce ne sont pas quelques centaines de mètres carrés mais bien des centaines d’hectares s’étirant le long de la Somme et de son affluent, l’Avre, qui ont été façonnés par la main de l’homme. Leur datation est incertaine mais les hortillonnages existaient déjà à l’époque gallo-romaine. Ce réseau de petits jardins, a été creusé dans les marais d’Amiens, Camon, Lamotte-Brebière, Longueau et Rivery. Et ce sont plusieurs milliers d’hortillons (maraîchers) qui y cultivèrent les fruits et légumes qui ont nourri la majeure partie de la population amiénoise. Au temps fort des hortillonnages, ceux-ci s’étendaient sur plus de 10.000 hectares et les denrées étaient acheminées par barque jusqu’au cœur d’Amiens, notamment au marché de la place Parmentier.
Sur certains lopins de terre, de petites maisons y ont été construites: appelées les maisons grainetières, elles permettaient aux horticulteurs de séjourner sur place et de ne pas perdre de temps pour rejoindre leurs lopins de terre. Leur appellation vient de l’annexe servant à produire des graines semées année après année.
Sauvés de l’urbanisation dès les années 70 par une association de protecteurs dévoués, les hortillonnages sont essentiellement devenus des jardins d’agrément. Seule une poignée de maraîchers continuent à cultiver une vingtaine d’hectares. Notre guide nous assura qu’au cours des transbordements, aucun engin horticole n’a un jour terminé au fond d’un rieu (canal). Cela demande une certaine maîtrise de la conduite d’une barque !
Chacun d’entre nous scrutait à gauche et à droite les moindres signes de présence d’un rucher. L’activité apicole existe encore dans les hortillons, nous avons aperçu furtivement un rucher et son cortège de butineuses, mais elle est également en déclin.
La visite d’un producteur de gelée royale
Après s’être délecté de ficelles normandes et autres spécialités locales, nous avons rendu visite à un producteur de gelée royale, Michel Waroude, basé dans la campagne normande à Inval-Boiron. Aidé d’un apprenti espagnol, il produit de la gelée royale sur une trentaine de ruches. Son rucher comporte au total près de 300 ruches de type Dadant 10 cadres. Les ruches servant à la production de gelée royale sont munies d’une grille à reine verticale : du côté où se trouvent 6 cadres il y a la reine. Les 4 cadres de l’autre côté de la grille servent à la production de la gelée royale.
Le secret d’un taux maximal d’acceptation des larves, et donc de production maximale de gelée royale, est l’âge et la fraîcheur de celles-ci. La technique utilisée par Michel débute 4 jours avant le greffage. Il encage la reine sur un cadre à la cire étirée (voir illustration B.A. n° 2 /2014, page 50). Ce cadre sera de préférence vieux : le contraste offert par la cire noircie permet de mieux distinguer les jeunes larves. Après 24 heures, le cadre est pondu, la reine libérée, le cadre remis dans la ruche hors de la cage. Ces larves étant toutes de même âge, cela évite de perdre du temps quant au choix des larves à greffer. 2 jours plus tard, le cadre est transporté dans le « laboratoire » de Michel où ont lieu les étapes de greffage et de récolte de la gelée. Le picking a lieu 2 fois par semaine, le lundi et le vendredi, à raison de 4.000 à 5.000 larves greffées. Les cadres porte-barrettes peuvent accueillir 4 à 8 barrettes de 30 cupules. Le soir du greffage, chaque ruche éleveuse reçoit 1 cadre porte-barrettes. Les performances de production de chaque colonie éleveuse sont suivies et permettent d’évaluer leur potentiel, variant entre 50 et 100g (compter environ 0,5g/cupule). Il y a clairement des colonies plus aptes à produire plus de gelée royale que d’autres.
Beaucoup d’entre nous, ont été étonnés de la quantité de cadres et ruches, encore en bon état, qui n’étaient plus utilisés par Michel. Je suis le premier à reconnaître que la mentalité d’un apiculteur amateur est diamétralement opposée à celle d’un apiculteur professionnel. Et ce n’est pas un luxe de ce dernier que de changer de matériel aussi régulièrement mais bien une nécessité d’ordre sanitaire. Sans vouloir verser dans le catastrophisme, je reprendrai ici les récents propos de l’AFSCA à propos de la loque américaine mais qui peuvent être appliqués de façon générale en apiculture : « … L’introduction d’abeilles, de produits apicoles ou du matériel qui a été en contact avec des abeilles d’origine étrangère contient toujours un risque réel pour l’introduction de maladies d’abeilles. Ceci doit être fait avec précaution et en tenant compte des mesures d’hygiène. »
Michel ne produit que de la gelée royale fraîche, suivant le cahier des charges du Groupement des Producteurs (français) de Gelée Royale. Vendue en pilulier de 10 g protégée par un étui en liège, chaque contenant est numéroté et se voit apposer du logo « gelée royale française » si le producteur respecte la charte de qualité.
La visite de la Maison de l’Abeille
Accueilli par Bernard Lamidel, secrétaire de l’Union Syndicale des Apiculteurs Picards (USAP), notre périple se termina à la Maison de l’Abeille, installée dans ce qui était autrefois la gare ferroviaire de Thézy-Glimont. Achetée et rénovée dans les années 90, ses fonctions sont multiples. Il s’agit avant d’une collection impressionnante de tout ce qui touche de près ou de loin à l’apiculture et à l’abeille : allant du matériel apicole utilisé par nos prédécesseurs, en passant par toute l’iconographie imaginable de l’abeille ou encore des pots de miel, de bouteilles d’hydromel et autres chouchen de toutes les provenances. Leur dégustation a dû animer pas mal de soirées ! Les adhérents de l’USAP disposent également d’un point de dépôt lors de commandes de matériel apicole et d’une miellerie équipée. Ce bâtiment abrite aussi les conseils d’administration, le rucher-école et les formations dispensées par l’USAP. La visite des lieux se poursuivit librement et des petits groupes de discussion se formèrent ici et là, débattant des techniques de lutte alternative contre le varroa, d’un nouveau modèle de trappe à pollen (dont je n’ai toujours pas compris le fonctionnement). Vraiment, cette gare a su garder son rôle de point de rassemblement où de nombreuses routes se croisent.
Leur blog est également une source d’informations à compulser sans limite : http://usap80.blogspot.be/
Il était temps pour nous de quitter notre hôte et, après une rapide restauration, de rejoindre nos douces pénates.
Tim Van Wynsberghe