Prédateurs terricoles du Varroa – 1
Prédateurs terricoles du Varroa – 1
Quels sont les auxiliaires potentiels de l’apiculteur dans sa lutte contre le varroa indésirable ?
1- Contexte.
Dans un précédent article publié initialement dans la revue apicole du cercle « Abeille du Hain » et publié ensuite dans « Apiculture en Wallonie » (juillet-Août 2020), je faisais part de mon souci de fournir un logement qui me paraissait plus adapté aux besoins des abeilles à partir de ruches Dadant-Blatt 10 cadres [DB10].
J’évoquais ensuite le souci d’appliquer certains principes de permaculture à ma gestion apicole des colonies : observer, travailler avec la nature plutôt que contre elle, accepter que la diversité est vecteur de résilience ou encore apporter de petits changements pour le plus grand effet.
Ainsi, un des principes incontournables de la permaculture maraîchère est d’éviter à tout prix tous les insecticides, pesticides et autres-cides notamment pour le tort causé aux insectes et donc à nos abeilles mellifères. Le principe est d’utiliser les « auxiliaires » pour combattre les « indésirables »
L’objectif est donc d’abandonner les traitements conventionnels utilisés en apiculture tels que les médicaments et les acides et de s’engager dans une lutte biologique contre varroa destructor.
Les médicaments (PolyVar®, Apistan®, Apivar®, etc.) ont des effets secondaires (mortalité accrue des abeilles), sont lipophiles et se retrouvent donc dans les cires. En conséquence, des traces de ces produits sont détectées dans le miel et le pollen, même si le traitement aux médicaments n’est utilisé qu’en dehors de la saison mellifère. A ces effets secondaires s’ajoute le fait que les varroas développent des résistances à ces médicaments quand ils sont mal utilisés (non respect des indications fournies par la notice).
Les traitements aux acides (oxalique, formique, etc.) ne s’accompagnent pas de résidus dans les cires, le miel, ne provoquent pas de résistance mais ont pour principal effet secondaire, un accroissement significatif de mortalité des abeilles (reine comprise) au moment du traitement et une réduction de la longévité des abeilles qui ont été exposées aux acides.
Je me suis donc intéressé à 2 prédateurs du varroa potentiellement utiles dans les ruches [auxiliaires] pour réduire la pression du varroa [indésirable]. Ces 2 prédateurs sont le « chélifer cancroïdes » plus connu sous la dénomination de « pseudo-scorpion » et le « stratiolaelaps scimitus »
Ils sont tous les 2 chasseurs et consommateurs des varroas phorétiques (ceux qui s’accrochent aux abeilles), ce qui suppose qu’ils soient présents durant toute la saison apicole et qu’à force d’en capturer pour s’en nourrir, ils réduiront leur nombre. De moins en moins de varroas s’immisceront donc dans les alvéoles occupées par les larves avant l’operculation pour s’y reproduire. Si ces auxiliaires permettent de s’opposer au développement exponentiel du nombre de varroas en cours de saison, le nombre d’abeilles porteuses de varroas phorétiques n’atteindra jamais le seuil fatidique qui condamnerait la colonie.
Dans ce premier article (1ère partie), je vais vous présenter ces 2 auxiliaires de l’apiculteur soucieux d’une gestion permacole [contraction de permaculture et gestion apicole] de ses colonies. Ils ont des cycles de vie très différents
Dans un second article (2de partie), j’envisagerai les aménagements de la ruche propices à les accueillir et les héberger … si possible au long cours et donc d’assurer leur présence durant toute la saison apicole voire d’une année à l’autre.
2- Chelifer cancroïdes ou scorpion des livres ou encore Pseudo-scorpion
De couleur beige, jaune foncé à brun, il peut curieusement avoir deux ou quatre yeux…ou pas du tout d’yeux.
Rien ne distingue le mâle de la femelle.
Il s’agit d’un arthropode de 2 à 8 mm de long de la classe des arachnides (araignées), de l’ordre des pseudo-scorpions et de la famille des cheliferidae.
Il ressemble effectivement à un scorpion car il a 2 longs bras comme eux mais ne possède pas la queue du scorpion terminée par le dard.
Ce sont ses pinces qui sont porteuses des glandes à venin qui paralyse ses proies et qui servent ensuite à les déchiqueter.
Il est tout à fait inoffensif pour l’homme…et pour l’abeille.
Les pseudo-scorpions peuvent se tenir sous l’écorce des arbres, sous des pierres, dans des fissures rocheuses, dans le creux des arbres et au sol dans la mousse ou plus généralement dans la litière forestière qui constitue le sol des surfaces boisées où vit une micro faune très riche, peuplée de collemboles, acariens, lombrics, cloportes et arachnides qui sont ses proies.
On en retrouve dans les litières des étables et les bergeries, sous les ballots de paille ou de foin mais aussi dans les pièces humides de la maison (salles de bains ou sous évier par exemple).
Les pseudo-scorpions ne se déplacent pas très rapidement par eux-mêmes mais ils sont capables de s’accrocher à des animaux (mouches, coléoptères et même oiseaux) qui servent de moyen de transport : c’est ainsi qu’ils entrent dans les maisons, qu’on les retrouve dans les creux des arbres et qu’ils peuvent suivre un essaim d’abeilles d’une ruche-mère en paille tressée.
Reproduction et cycle de vie
Les mâles maintiennent de petits territoires d’accouplement de quelques cm2.
Lorsqu’une femelle entre sur son territoire, le mâle entame une danse d’accouplement et finit par amener la femelle, à l’aide de ses pinces, sur le spermatophore préalablement déposé sur le sol.
La femelle ramasse le spermatophore, introduit la semence dans son orifice génital et permet ainsi la fécondation. Elle transporte les œufs (de 20 à 40) dans une poche incubatrice ventrale.
Après l’éclosion, les petits vivent sur le dos de leur mère pendant une courte période. Ils passent par 3 stades juvéniles et donc effectuent 3 mues avant d’atteindre le stade adulte. Chaque mue implique la construction d’un nid de soie.
Le développement du stade de l’œuf à la maturité prend de 10 à 24 mois et la durée de vie totale est de 3 à 5 ans.
Dans la ruche
Alois Alfonsus, apiculteur autrichien, a écrit le 1er article scientifique sur la symbiose entre les abeilles et les pseudo-scorpions en 1891 : rien de nouveau donc !
Max Beier publie en 1951 « Le scorpion du livre, un hôte bienvenu des colonies d’abeilles »
Effectivement, il était fréquemment observé dans les ruches en paille tressée mais a disparu des ruches modernes (trop lisse, sans abri possible) et sera victime des traitements acaricides utilisé dans la lutte des apiculteurs contre « varroa destructor ».
Recherches
Le principal défenseur actuel des pseudo-scorpions dans le cadre d’une apiculture respectueuse de l’abeille est un zoologiste allemand, Torben Schiffer qui en fera l’objet de sa thèse.
S’il est prouvé que le pseudo-scorpion mange du varroa, son efficacité dans la régulation de la pression varroa dans la ruche reste à démontrer scientifiquement et supposerait un aménagement des ruches modernes. J’y reviendrai.
Achat de pseudo-scorpions
Ils seraient assez chers à la vente : le Dr Charles Schramme, lors d’une conférence au cercle de « l’Abeille du Hain » mentionnait un prix allant de 5 à 45€ pièce … ceci dit je n’ai pas trouvé, via internet, de producteur qui en vende et si l’on admet qu’il en faudrait de 50 à 150 par ruche, ce prix est évidemment prohibitif.
3 – Stratiolaelaps scimitus / Hypoaspisscimita
Stratiolaelaps scimitus est un arthropode de la classe des arachnides, de la sous-classe des acariens et de la famille des laelapidae.C’est donc un cousin de l’acarien « varroa destructor » de la famille des varroidae.
Stratiolaelaps scimitus est un prédateur terricole qui colonise les premiers centimètres du sol, vivant aux dépens de petits arthropodes ou, en leur absence, de résidus de plantes et d’autres débris organiques.
Il participe donc au compostage des débris organiques tombant au sol.
L’adulte Stratiolaelaps scimitus est de couleur brun clair et mesure 0,5 à 1 mm de long.
Reproduction et cycle de vie [1] :
Le développement complet de stratiolaelaps dure environ 18 jours à 20°C (68°F).
Le ratio sexuel est équivalent, 1 femelle pour 1 mâle.
Après l’accouplement, la femelle pond ses œufs dans le substrat de culture. Les œufs éclosent en nymphes après 1 à 2 jours. Les nymphes se transforment en adultes en 5 à 6 jours.
Tous ses stades mobiles (nymphes et adultes) sont des prédateurs et ils s’attaquent de préférence aux individus de plus petites tailles. Chaque individu mange 1-5 proies par jour.
S’il y a assez à manger, les femelles pondent régulièrement des œufs … la population d’acariens prédateurs s’agrandit donc tant qu’il y a de la nourriture.
Lors de manque de nourriture, ils peuvent se nourrir d’algues et de débris végétaux voire se passer de toute nourriture jusqu’à 7 semaines en entrant dans une phase de repos.
Stratiolaelaps adulte a une vie actived’en moyenne 6 semaines. Il est actif entre 10° et 28 °c et est le plus actif entre 22 et 28 ºc. À une température plus (> 28°c) ou moins (< 10° c) élevée, il entre dans une phase de repos pour survivre.
Il est bien adapté aux conditions humides dans une variété de supports de culture, mais ne tolère pas l’eau stagnante.
Outre son utilisation dans les programmes de lutte biologique sur les cultures maraîchères, il est utilisé pour le contrôle des divers acariens parasites qui affectent les oiseaux, les reptiles, les arachnides élevés par l’homme.
Recherches
Une chercheuse canadienne, Sabrina Rondeau, biologiste à l’Université Laval, a mené plusieurs études sur l’utilisation des stratiolaelaps comme prédateurs du varroa dans des conditions expérimentales définies et publié des résultats préliminaires [2].
Elle conclut à l’absence de risque pour les abeilles et le couvain, à l’observation d’une prédation des varroas tombés à travers le grillage du plancher mais n’a pas pu conclure, dans les conditions expérimentales de ses protocoles, à la possibilité de contrôler l’infestation de varroas par stratiolaelaps scimitus.
Dans ses protocoles, les stratiolaelaps sont saupoudrés par le dessus, sur les têtes de cadres … et quand ils tombent dans le fond de la ruche, ils ne disposent pas d’un substrat dans lequel ils pourraient se réfugier, se nourrir et se reproduire.
Il faudrait donc répéter l’opération comme on le fait avec les traitements conventionnels (médicaments ou acides) au détail prêt qu’on peut traiter même durant la miellée puisque les stratiolaelaps ne s’intéressent qu’aux varroas phorétiques, ne polluent pas les cires comme les médicaments, ne provoquent aucun accroissement de mortalité des abeilles comme on l’observe lors des traitements aux médicaments et aux acides.
Le rucher Caramand – Abeilles du Hain [3], s’est lancé récemment dans un programme de lutte biologique contre le varroa à l’aide des stratiolaelaps auxquels est offert un endroit propice à leur reproduction et leur développement.
Les ruches sont placées sur un bac-support fermé dans le bas, ouvert côté ruche, rempli de terreau humide et de copeaux de bois de façon à ce que la grille à varroas du plancher soit bien en contact avec le mélange sur lequel est saupoudré une dose de 5.000 stratiolaelaps.
Le défi est ici de parvenir à contrôler le taux d’humidité du mélange terreau / copeaux de bois qui doit avoisiner les 30% et si nécessaire d’arroser avec un vaporisateur pour maintenir en vie les stratiolaelaps(l’arrosoir risquerait de noyer les stratiolaelaps). Le bac étant fermé dans le fond et sur les flancs, il n’est pas difficile d’imaginer les manipulations que ce contrôle et maintien du taux d’humidité idéal impose.
Geert Steelant, apiculteur brugeois, utilise depuis plusieurs années « stratiolaelaps scimitus » mais a franchi le pas qui rebute les apiculteurs : pour offrir un milieu propice à leur survie et éviter si possible les achats répétitifs, il pose ses ruches sur des bacs-support contenant le mélange terreau – compost qui sont ouverts vers les ruches et vers le sol [4].
Sa démarche d’apiculteur est décrite dans un pdf de 28 pages, traduit en différentes langues dont le français [5]. Il pratique une apiculture « dite » respectueuse de l’abeille sur base de l’observation :
- celle d’un vieil apiculteur référent qui n’hésitait pas à mettre une colonie et sa ruche en contact avec le sol quand il pensait qu’elle avait un problème … sans vraiment savoir pourquoi elle allait mieux avec ce traitement
- l’observation fréquente de ses propres colonies.
Geert, qui est manifestement un bon bricoleur, travaille avec des ruches qu’il a construites lui-même sur le modèle de la ruche Warré auquel il apporte quelques modifications de son cru.
Pas de démarche scientifique au sens strict du terme mais une démarche de recherche de ce qui est pour lui, intuitivement, bon pour ses abeilles. La clef du succès de sa démarche est de monitorer l’humidité du milieu de vie des stratiolaelaps et leur présence tout au long de l’année … en fait une fois par mois.
Les trois expériences reprises (il y en a sans doute d’autres) diffèrent
- par le type de ruche utilisée (Langstroth pour Sabrina Rondeau, WBC (William Broughton Carr) au Caramand et Warré pour Geert Steelant,
- par l’absence d’adaptation de la ruche (Sabrina Rondeau) ou par l’apport d’un bac placé sous la ruche pour contenir le milieu de vie de stratiolaelaps scimitus (Caramand & Geert Steelant)
- par le saupoudrage des stratiolaelaps
- par le haut, sur les têtes de cadre de façon à ce que les stratiolaelaps descendent à la recherche de leurs proies.
- dans le bas, sur le substrat proposé comme milieu de vie, ce qui suppose que les stratiolaelaps profitent du passage des abeilles sur le plancher pour s’attaquer aux varroas qu’elles portent ou qu’ils montent vers les cadres de corps pour y chasser leurs proies.
Comportement de chasse de stratiolaelaps scimitus
Lorsque qu’un varroa tombe, stratiolaelaps « saute » sur sa proie, lui arrache une patte et via l’orifice créé, s’en nourrit. Pour rappel, c’est un arthropode de la classe des arachnides.
Lorsque les abeilles pénètrent dans la ruche, les acariens prédateurs rampent également sur les abeilles et attaquent les varroas qu’elles portent. Il semblerait que les abeilles recherchent les stratiolaelaps … qu’elles savent qu’ils la débarrasseront de ses indésirables varroas.
Par ailleurs, ils se déplaceraient sur une portée de 50 cm et seraient donc capables de grimper dans les cadres pour y rechercher leurs proies, les varroas phorétiques. Ils ne s’intéressent ni au couvain, ni au miel.
Il ya un bémol à leur utilisation : ces acariens prédateurs n’aiment pas les températures (T°) supérieures à 28°c alors que la T° à l’intérieur de la ruche avoisine les 32°c quand il y a du couvain. Ils fréquenteraient les endroits les plus frais de la ruche (bas de la ruche, cadres en périphérie du couvain), chasseraient quand il fait plus frais et donc la nuit, se réfugient dans le bac à compost sur lequel est posée la ruche par trop grandes chaleurs. La température dans le corps de ruche est donc un frein partiel à leur comportement de chasseur.
Achat de stratiolaelaps-scimiti
Ces derniers peuvent être facilement achetés en ligne via les sites web des producteurs. Je me limiterai à mentionner une source belge : https://www.nectarist.be et une source hollandaise : https://tryptomera-roofmijt.nl… il y en a d’autres, à chacun de faire son marché en tenant bien sur compte des prix proposés mais aussi des délais de livraison, sachant que plus le temps entre l’emballage à la source et la livraison chez vous est court, mieux c’est pour la survie des stratiolaelaps dans leur emballage.
A consulter
[1] https://tryptomera-roofmijt.nl/varraomijten-biologisch-bestrijden-roofmijt/
[2] https://scholar.google.com/citations?user=mtLXYTMAAAAJ&hl=en
[3] https://www.abeilleduhain.be/projet-de-lutte-biologique-contre-le-varroa
[4] https://www.delachendebijenkast.be/download/ael8-art-myriam-lefebvre-final%20(1).pdf
[5] https://www.delachendebijenkast.be/download/l_apiculture_selon_geert_steelant_press_quality.pdf
Et encore sur le « stratiolaelaps scimitus »
https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0208812
https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/36954/1/34705.pdf
https://www.agrireseau.net/documents/Document_99331.pdf
https://bioplanet.eu/fr/stratiolaelaps-scimitus-3/
sur le « pseudo-scorpions »
http://www.cari.be/medias/abcie_articles/173_ecologie.pdf
http://crsad.qc.ca/uploads/tx_centrerecherche/pseudoscorpions.pdf
https://www.beeculture.com/chelifers-or-pseudoscorpions-as-varroa-control-agents/
https://chelifer.de/book-scorpions/
https://beenature-project.com/Haeufige-Fragen-FAQs
Georges Niset