Abeilles mellifères et abeilles sauvages
Abeilles mellifères et abeilles sauvages :
Une information régionale
Une réponse
« Stupéfaits! C’est l’état d’esprit d’un grand nombre d’apiculteurs, dont je suis, lorsqu’ils apprennent que ce qui était vénéré hier est jeté aux orties aujourd’hui. Que de fois n’ai-je entendu vanter les mérites comparatifs du miel des villes, où les pesticides auraient moins droit de cité. Qui n’a pas en mémoire ces photos de ruches sur les toits de l’Opéra de Paris? Sans compter ces nombreuses initiatives, louables à mes yeux, d’entreprises, d’ASBL, ou autres plaçant des ruches sur leur toit.
Tout ce qui mettra l’abeille en évidence et ses bienfaits pour la nature, en ville ou ailleurs, ne peut qu’être salué!
Membre d’un prestigieux Cercle Apicole en Wallonie et conférencier apicole, je constate le regain d’intérêt pour l’abeille et la prise de conscience accrue de son rôle crucial pour la biodiversité. Einstein aurait dit : « Le jour où l’abeille disparaît, l’humanité n’a plus que quatre années à vivre. »
Opposer les abeilles dites domestiques aux abeilles sauvages a de quoi surprendre. Des colonies de 50.000 « individus » (que nous apiculteurs appelons « abeilles »), pour reprendre les termes de l’étude relayée par les medias, menaceraient la survie des abeilles sauvages … Soit dit en passant, dans quelle mesure ladite étude prend-elle suffisamment en compte les sources mellifères que sont les tournières fleuries, les parcs privés, et autres vergers?
Quand nous savons (je suis apiculteur depuis plus de 60 ans) que la concentration de ruches à un même endroit ne peut être problématique que lorsque leur nombre est supérieur à 15 – 20, voire davantage. Dans ce domaine, tous les avis sont dans la nature. Feu Roger Bauduin, agronome belge et sommité à l’échelle internationale, dans le monde de l’apiculture, fixait ce plafond à un nombre encore supérieur. Il était le pape de l’apiculture pastorale; il a notamment mis sur pied des écoles d’apiculture et formé de nombreux moniteurs apicoles; il supervisait 6.000 ruches au Rwanda. Bref, un avis autorisé dans le monde apicole.
Quand on sait que les quelques centaines d’apiculteurs bruxellois (car c’est d’eux qu’il s’agit aujourd’hui; dans un premier temps?), souvent retraités, détiennent pour la plupart 2 – 3 ruches, et qu’ils sont, comme la plupart des 10.000 apiculteurs belges, des bénévoles passionnés de la nature, ils n’ont pas attendu la prise de conscience planétaire actuelle pour donner un coup de pouce à la nature. Sans jouer les héros! Ils respectent la nature, veillent au bien-être de leurs colonies d’abeilles, entretiennent généralement les meilleures relations avec leur voisinage : le miel adoucit les moeurs.
Ce sont des artisans passionnés par le monde de l’abeille. Car c’est un monde fascinant qui mérite à être mieux connu encore. Même si de nombreuses initiatives sont prises dans notre pays, à l’initiative de fédérations et de cercles apicoles pour sensibiliser les citoyens aux bienfaits de l’abeille : expositions, conférences, foires agricoles (comme c’est le cas à Nivelles tous les lundis de Pentecôte) …
Bref, je m’étonne que la Belgique s’illustre, et Bruxelles en l’occurrence, pour interdire désormais les ruchers sur les toits ou ailleurs (à proximité des zones Natura 2000); car, après Bruxelles, à qui le tour? Anvers, Liège, Mons …? Je n’ai pas connaissance que d’autres grandes villes telles que Paris, Rome, Londres … aient pris une telle option. Serions-nous plus avertis que les autres? N’essayons pas de jouer les pionniers à tout prix.
Bref, cette polémique qui met en émoi le monde apicole belge risque de ternir l’image de l’abeille mellifère alors que tant de passionnés s’évertuent à faire prendre conscience de son rôle vital. Un peu comme si on opposait, comme dans la célèbre fable de La Fontaine, « Le rat des villes et le rat des champs. »
Je déplore que la mesure annoncée n’ait pas permis aux nombreux apiculteurs d’exprimer leur point de vue. Gageons que la plupart d’entre eux partagent (en tout ou partie) mon opinion, mais ce n’est que mon opinion. Ils s’insurgent contre cette frénésie réglementaire qui entrave leur ligne de conduite depuis la nuit des temps, et construite sur l’expérience et l’observation de nos abeilles. L’absence de but de lucre, le bon sens, l’amour de la nature sont les vecteurs de leur passion. Faisons-leur confiance!
Il n’est jamais trop tard pour dialoguer. »
Alain Schockert
Conférencier apicole. 17/01/2020